COMMERCE INTERNATIONAL

COMMERCE INTERNATIONAL
COMMERCE INTERNATIONAL

Au sens strict, le commerce international concerne les opérations d’achat et de vente à l’étranger de biens physiquement identifiables. La différence entre la valeur des exportations et celle des importations constitue la «balance commerciale». Les transactions internationales qui portent sur des activités de service – transports, assurance, tourisme, brevets, etc. – sont comptabilisées avec les «invisibles» (au même titre que les transferts ou les dons). Le solde de la balance commerciale ajouté à celui de la balance des invisibles, constitue le solde des transactions courantes ou «balance des paiements courants».

Le commerce international fait référence à une subdivision économique et territoriale. Les frontières sont d’ailleurs assez floues. Pourquoi parle-t-on de commerce international lorsque la France achète des produits allemands, mais non lorsque la Californie en achète à l’État de Floride? Il n’existe aucune raison logique pour que les douanes françaises, mais non la Banque de France (qui établit la balance des paiements! ), enregistrent une exportation lorsque les ingénieurs toulousains expédient un satellite de communication à Kourou (Guyane française).

1. Économie politique

Il convient de distinguer l’approche doctrinale et l’approche scientifique. La première accepte les jugements de valeurs alors que la seconde se prête à la réfutation.

L’approche doctrinale

La tradition nationaliste

L’apparition du courant «nationaliste» en matière économique date de la formation des premiers États-nations modernes, gouvernés par une autorité centrale, affranchie des tutelles religieuses et compétente en matière de droit et d’économie. Les premiers auteurs nationalistes – les mercantilistes – apparaissent ainsi au XVIe siècle, et Machiavel fut l’un des tout premiers.

Les auteurs mercantilistes se retrouvent autour d’un certain corps doctrinal commun: la puissance du «prince», incarnation de ce qui deviendra la «nation», s’identifie à sa puissance économique, elle-même reflétée par l’abondance des moyens monétaires – or, argent... – mis à sa disposition. Dans les pays dépourvus de mines, le commerce international constitue un moyen d’obtenir la monnaie convoitée, car un excédent de la balance commerciale trouve sa contrepartie dans une augmentation nette des réserves monétaires. Les Espagnols comme les Portugais choisiront d’accaparer les métaux précieux, là où ils sont disponibles en abondance, en Amérique. Les Anglais privilégieront le commerce. La France, avec Sully, préférera obtenir un excédent par l’agriculture avant que Colbert ne tente de réorienter vers les manufactures la production exportée. Certes, nous savons aujourd’hui que la monnaie n’a de valeur que par les biens qu’elle permet d’obtenir. Mais, justement, la puissance recherchée par les princes constituait une forme particulière de bien. Les Habsbourg avaient impérativement besoin de l’or américain pour financer les armées mercenaires impliquées dans la consolidation d’un empire qui comprenait, outre l’Espagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Bourgogne, une partie de l’Italie...

Toute la tradition mercantiliste – et nationaliste – repose sur le postulat de la coïncidence entre l’espace économique et le territoire politique. L’économie doit donc être mise au service des objectifs de la nation: indépendance, puissance, sécurité, etc. Le commerce international ne peut constituer une fin en soi. Il n’est acceptable que s’il permet de transférer – plutôt que de créer – des richesses existantes vers la nation. Sinon, il doit être entravé (protectionnisme, politique d’autarcie). L’échange est un combat: ce que gagne l’un est nécessairement perdu par un autre, au moins.

La pensée nationaliste connaîtra diverses formes d’expression. Chez Hamilton (puis Carey) ou List (puis l’école historique allemande), le protectionnisme éducateur, en autorisant le mûrissement d’une industrie nationale, contribue en même temps à la naissance d’une nation: les États-Unis pour l’un, l’Allemagne pour l’autre. L’Allemagne nazie comme les politiques staliniennes de développement offriront l’exemple d’applications extrêmes de ces politiques nationalistes.

On retrouve dans le néo-mercantilisme actuel les propositions suivantes: le commerce international ne peut être laissé aux soins du seul marché, car la «main invisible» agit trop lourdement; l’État a donc le devoir d’agir pour en infléchir l’orientation. Ses actions de politique commerciale ou de politique industrielle sont supposées efficaces. L’État doit, notamment, favoriser l’industrie sous peine de voir le pays perdre sa substance. Les services restent sinon improductifs, comme chez Marx et les classiques, du moins peu créateurs de véritable progrès. L’État doit, de plus, s’assurer que les stratégies économiques des autres nations ne nuisent pas à l’intérêt national.

La tradition libérale

Le libéralisme économique, tel qu’il se forge au cours du XVIIIe siècle avec des philosophes économistes comme Montesquieu, David Hume et Adam Smith, est d’abord une arme de guerre doctrinale contre le mercantilisme.

Le territoire politique – la nation – se dissocie d’un territoire économique qui pourrait ne pas avoir de frontières. La nation n’est donc plus un sujet pertinent d’analyse économique et le commerce international s’analyse avec les mêmes instruments que le commerce à l’intérieur des nations.

Cependant, les échanges extérieurs ne sont-ils pas spécifiques par les dangers qu’ils font peser sur la balance commerciale? Certainement, puisque les pouvoirs publics continuent de dresser et de publier des balances des paiements. Mais il s’agit d’une survivance du mercantilisme, car la théorie libérale des ajustements automatiques – paradoxalement «découverte» par le mercantiliste Malynes et reprise par Hume – montre que les balances des paiements tendent à s’équilibrer automatiquement dès lors que les mécanismes de marché sont respectés: le pays excédentaire qui voit affluer les métaux précieux subit des pressions inflationnistes qui réduisent sa compétitivité. Le mécanisme s’inverse dans les pays déficitaires. Aucun pays ne peut donc espérer augmenter son stock de métaux précieux en agissant sur le commerce international. Celui-ci se conforme aux besoins nés du commerce et à eux seuls. La «richesse des nations» trouve son origine ailleurs: dans l’accumulation du capital productif et dans le développement de l’échange. Il n’existe donc plus d’obstacles au développement de l’échange volontaire entre les nations. Le commerce n’est-il pas porteur de paix et de «mœurs doux» (Montesquieu)? Sous les mercantilistes, il était combat; avec les libéraux, il devient harmonie.

Toutefois, les auteurs classiques ne s’affranchissent pas de toute référence à la nation. Mais sa définition est purement fonctionnelle: bloc de techniques de production (vision implicite chez Smith et Ricardo) ou bloc de facteurs (néo-classiques). Ils distinguent, néanmoins, le politique de l’économique. L’indépendance et la sécurité nationale constituent certes une aspiration légitime, mais doivent être considérées comme un bien au même titre que tous les autres biens. Chez les nationalistes, le canon permettait d’obtenir (ou de conserver) le beurre; chez les libéraux, il s’y substitue. L’approche libérale anglaise n’est pas moins «industrialisante» que l’approche mercantiliste, mais les moyens sont différents. La libre importation des grains qui, en Angleterre, sera obtenue en 1846, permet de diminuer le salaire nominal de subsistance (baisse du prix des biens alimentaires) et la rente foncière, d’augmenter ainsi la part des profits industriels et donc de favoriser l’accumulation du capital.

L’idée de Montesquieu, selon laquelle le commerce est un vecteur de paix, a été exprimée dans les années 1970-1980 par les partisans d’une coopération économique avec les pays socialistes. La proposition de Lénine, selon laquelle les «impérialistes» vendaient aux communistes la corde avec laquelle ils seraient pendus, était ainsi inversée: le commerce créait des dépendances et favorisait la diffusion des valeurs occidentales. Effectivement, les coups fatals furent portés au système par la population des pays qui allèrent le plus loin dans cette ouverture extérieure: la Pologne et surtout l’ex-R.D.A., qui avait tissé des liens multiples avec la R.F.A.

La tradition marxiste

Tout comme les libéraux classiques, Marx reconnaît les effets favorables du commerce international pour le...«capitalisme». Mais son expansion permet-elle, à elle seule, d’assurer la survie de ce dernier? Les auteurs marxistes – notamment Rosa Luxemburg et Lénine – ont apporté des réponses contradictoires. Pour la première, les entreprises capitalistes sont condamnées à verser des salaires faibles afin de lutter contre la concurrence. Mais le pouvoir d’achat des «prolétaires» est alors insuffisant pour assurer les débouchés nécessaires aux secteurs qui produisent les biens de consommation. Les débouchés extérieurs constituent alors un «exutoire». Si cette fonction particulière des exportations prend une dimension visionnaire chez Rosa Luxemburg, elle n’est pas nouvelle: elle peut être aperçue chez Smith ou Sismondi et ne sera pas non plus absente de la Théorie générale de Keynes (1936).

L’orthodoxie marxiste a préféré, néanmoins, retenir la perspective léniniste. Ce n’est pas le surplus de biens qui déprime le capitalisme, c’est la baisse tendancielle du taux de profit. La concurrence favoriserait l’accumulation de capital constant (machine, etc.) au détriment du travail, seul créateur de plus-value. L’exportation de capitaux financiers vers les régions moins développées (précapitalistes), où les taux de profit sont plus élevés, constitue, cette fois, un exutoire au surplus de capitaux disponibles.

Ces approches ont trouvé un prolongement dans certaines théories modernes de l’échange inégal (Emmanuel, Amin) qui maintiennent la distinction entre un «centre» capitaliste et une «périphérie» sous-développée, celle-ci transférant, par l’échange, de la plus-value aux pays riches. Cette rupture avec l’approche harmonieuse des libéraux a, presque naturellement, favorisé l’application de politiques national-marxistes dans certains pays du Tiers Monde.

L’approche scientifique

L’approche scientifique devra être dénuée de tout jugement de valeurs. Si celle-ci trouve son origine chez les auteurs libéraux, elle est néanmoins, grosso modo, conforme aux critères de «scientificité». Nous distinguerons, cette fois, deux traditions: la tradition ricardienne, largement dominante dans la littérature académique, et la tradition smithienne, aux implications plus hétérodoxes et moins déterministes. Elles furent développées pour le commerce de biens, mais s’appliquent sans inconvénient majeur aux échanges internationaux de services.

La tradition ricardienne

La tradition ricardienne trouve son origine dans les quelques pages consacrées par Ricardo dans ses Principes aux implications du commerce extérieur sur la répartition des revenus et la distribution des stocks d’or. Il adopte l’hypothèse simplificatrice de rendements constants (la productivité sectorielle est indépendante du volume de la production) pour formuler la théorie dite des avantages comparés; rappelons-en les grandes lignes. Avant même que le commerce international n’intervienne, les pays ne sont pas pareillement efficaces dans toutes les activités. Il peut même arriver que certain pays soit moins productif – en termes de productivité du travail – partout. Est-il condamné à l’autarcie? La réponse ricardienne est négative sans ambiguïté: tous les pays peuvent gagner à l’échange si les meilleurs se spécialisent dans les activités où ils sont relativement les plus efficaces, et permettent alors aux plus démunis de se consacrer aux activités où ils sont relativement moins inefficaces.

Cette théorie des avantages comparés démontre le caractère souhaitable de la spécialisation. Mais comment celle-ci se réalise-t-elle pratiquement? Comment faire renoncer certains travailleurs à leur activité, où ils restent «meilleurs», en termes absolus, que leurs concurrents? Certes, on peut très bien envisager qu’un arbitre impartial décrète les spécialisations optimales. Le principe de «division internationale socialiste du travail» appliqué pendant près de trente ans dans les pays socialistes du Conseil d’aide économique mutuelle (C.A.E.M. ou Comecon) reposait sur cette logique. Mais, pour Ricardo et les libéraux classiques, le marché est tout à fait en mesure d’imposer cette spécialisation. L’introduction de la monnaie permettra, en effet, de transformer un avantage comparé exprimé en termes physiques (prix relatifs) en avantage compétitif (ou avantage absolu) formulé en termes de prix monétaires. Dès lors qu’un pays se sera spécialisé conformément à ses avantages comparés, il sera en mesure de proposer un prix plus bas, même si les nations rivales bénéficient d’une productivité plus forte. Comment? Parce que le désavantage en termes de productivité et d’efficacité sera compensé, et, au-delà, par un avantage en termes de coûts salariaux, donc de coût de production. Les salaires des pays les plus efficaces en moyenne tendent donc à être «naturellement» plus élevés que les salaires des pays qui le sont moins. Le meilleur indicateur de performance d’un pays est donc son niveau de salaire... Cette approche suppose, néanmoins, la détermination d’un taux de change compatible avec l’ajustement automatique des balances des paiements et une parfaite flexibilité des prix sur les marchés.

L’approche ricardienne, fondée sur l’hypothèse de rendements non croissants, trouve son prolongement dans la théorie néo-classique de l’échange. Celle-ci intègre plusieurs facteurs (par exemple, le travail et le capital) qui produisent à rendements décroissants. Contrairement à ce qui se passe chez Ricardo, les nations sont supposées disposer des mêmes fonctions de production (et de consommation); les dotations initiales en facteurs de production constituent la différence. Supposons que l’on puisse classer, de manière intangible, les produits selon leur intensité factorielle et affirmer, par exemple, que le textile exige toujours une plus grande quantité de travail que la sidérurgie. Soit deux pays: dans lequel le prix des produits textiles sera-t-il le moins élevé? Dans celui où le facteur de production utilisé le plus intensément – le travail – est le moins cher, c’est-à-dire dans celui où il est relativement le plus abondant. Ce pays tendra donc à se spécialiser dans cette production. Mais, du fait des rendements décroissants, cet avantage s’estompera jusqu’à disparaître (en principe avant que la spécialisation ne soit totale). Le théorème H.O.S. (Heckscher-Ohlin-Samuelson) affirme ainsi que les nations tendent à se spécialiser dans les productions intensives pour lesquelles les facteurs disponibles sont relativement abondants.

Poursuivons le raisonnement. Le pays spécialisé dans le textile sollicitera davantage de travail mais, en même temps, libérera une partie des capitaux consacrés auparavant à la sidérurgie. La contrainte de rareté sera donc relâchée pour le facteur initialement le plus rare, et donc le plus cher, le capital, mais se durcira pour le facteur relativement plus abondant, et donc moins cher, le travail. Le prix du premier devrait donc diminuer; celui du second augmenter. Les capitalistes perdent, les salariés gagnent. L’ouverture, qui profite globalement à l’économie, désavantage donc le facteur relativement rare et, vraisemblablement, ses représentants s’opposeront à l’ouverture des frontières... Dans l’autre pays, on observe l’évolution exactement inverse. Les rémunérations des facteurs tendent donc à converger, bien que ceux-ci soient supposés immobiles entre les nations. Il existe, en fait, une dualité entre le prix des biens et le prix des facteurs. Dans les années soixante, Mundell a ainsi montré que si, contrairement aux hypothèses habituelles, les facteurs de production étaient parfaitement mobiles et les produits parfaitement immobiles, des résultats indentiques à ceux de l’approche traditionnelle seraient obtenus.

Le courant néo-classique suédois a été prolongé par des approches dites néo-factorielles esquissées par Leontief. Cet auteur américain d’origine russe avait, au début des années cinquante, mis en évidence la spécialisation «paradoxale» des États-Unis dans les productions intensives en travail. Ce pays ne disposait-il pas, pourtant, d’une dotation relative plus importante en capital? Pas nécessairement, répond Leontief, car si l’on corrige la quantité de travail par son efficacité relative, les États-Unis peuvent apparaître relativement bien dotés en travail. L’objet de l’approche néo-factorielle consistera, alors, à mieux spécifier la qualité des facteurs de production en tenant compte de leur hétérogénéité.

La tradition smithienne

Ricardo et ses successeurs ont raisonné en termes de rendements non croissants. Mais cette option, largement dominante dans la littérature académique, n’était pas la seule possible. Le premier auteur classique à «penser» l’échange (en général) en termes de rendements croissants fut Adam Smith. Cette approche était sans doute plus hétérodoxe que ne le supposait son auteur: les rendements croissants n’empêchent-t-ils pas la mise en évidence d’un équilibre général? ne justifient-ils pas l’existence de monopoles seuls capables de tirer parti des effets bénéfiques de la grande dimension?

Pour Ricardo et ses successeurs, l’acte d’échange est motivé par une différence. Deux nations semblables – en termes de productivité ou de dotation en facteurs – n’ont aucun profit à échanger, et donc à se spécialiser. Chez Smith, au contraire, chaque nation, en produisant davantage, bénéficiera des gains de productivité induits par le changement de dimension: économies d’échelle, effets d’apprentissage, etc. Ces améliorations expliquent alors, ex post et non ex ante , les différences de productivité sectorielle entre des nations qui pouvaient être initialement semblables.

Deux courants modernes peuvent être rattachés à la filiation smithienne. Le premier a été étayé par les travaux du Suédois Linder (1961). Pour lui, la spécialisation des économies industrielles ne repose pas exclusivement sur des différences du côté des conditions d’offre mais résulte aussi des différences du côté de la demande. Dès que l’efficacité de la production dépend des débouchés, le pays qui dispose d’une demande forte pour un certain produit est incité à se spécialiser dans sa production. L’avantage qu’il obtient lui permet, ultérieurement, d’exporter le bien. Raymon Vernon, théoricien du cycle de vie du produit, a montré le caractère transitoire de cet avantage: lorsque le produit se banalise, le prix des facteurs, et donc la spécialisation ricardienne, retrouve son importance. Le second courant a appliqué aux échanges internationaux les nouveaux modèles de concurrence imparfaite. En situation de rendements croissants, la concurrence pure et parfaite n’est plus la structure de marché la plus vraisemblable, ni même la plus efficace. Lancaster a ainsi analysé les implications de la concurrence monopolistique (des marchés de produits suffisamment différenciés pour conférer aux producteurs un certain pouvoir de monopole mais suffisamment concurrentiels pour éliminer les profits anormaux). L’ouverture aux échanges permet alors de bénéficier d’un gain «smithien»: abaissement des prix et des coûts de production, par effet de taille. En même temps, le consommateur élargit ses possibilités de choix.

Mais les structures de marché imparfaites permettent aussi la persistance de profits anormalement élevés. On quitte alors le domaine de la paisible «main invisible» pour celui de la lutte entre les entreprises et, au-delà, entre les nations qui cherchent à capter ces sur-profits. L’élimination d’un concurrent, qui ne justifie aucun «investissement stratégique» en concurrence pure et parfaite, présente maintenant, pour l’entreprise, le double avantage d’accroître les débouchés – ce qui revient, par effet de dimension, à abaisser les coûts de production – et de renforcer son pouvoir de monopole. Toute stratégie qui vise à éliminer les concurrents, ou à dissuader leur entrée, peut donc se révéler hautement profitable. La réinterprétation de la théorie de la concurrence imparfaite en termes de théorie des jeux a été appliquée, dans les années quatre-vingt, aux relations commerciales internationales. La «politique commerciale stratégique» se définit ainsi: ensemble d’actions menées par les pouvoirs publics pour modifier les structures de marché dans un sens qui soit favorable aux entreprises nationales, notamment du point de vue des parts de marché et des profits. L’État, ignoré ou condamné par les classiques, retrouve donc aujourd’hui des occasions d’intervenir. La conception mercantiliste des relations économiques internationales est réhabilitée.

La crise de la théorie

Ce retour de la théorie au néo-mercantilisme illustre la crise actuelle des approches académiques du commerce international. Les partisans de la théorie orthodoxe ont trop souvent utilisé ces schémas pour expliquer la formation des spécialisations alors qu’il s’agissait, plus modestement, d’identifier les raisons pour lesquelles, sous certaines conditions d’ailleurs bien précisées, le développement du commerce international pouvait améliorer le bien-être des participants. Dans la réalité, les forces qui imposent une spécialisation «conforme» ne sont pas nécessairement présentes. On ne peut donc qu’approuver Samuelson lorsque celui-ci reconnaît que, dans le monde réel, sa théorie ne peut être vérifiée.

Plus de la moitié des échanges internationaux se réalisent en dehors des procédures de marché: les transactions internes aux firmes multinationales, le commerce de compensation (troc) ou sous contrats (notamment les matières premières énergétiques) échappent ainsi à l’épreuve du marché et à la confrontation des prix. La différenciation des produits introduit d’ailleurs des phénomènes de compétition hors prix où la spécification des variétés, la qualité, la marque, les délais de livraison, etc., jouent un rôle déterminant.

La libre circulation des capitaux et leur plus grande mobilité permettent aujourd’hui de financer durablement les déficits courants, ou, à l’inverse, de placer les excédents sur les marchés financiers internationaux. La théorie des ajustements de la balance des paiements ne concerne plus les seules balances des biens et services. Le taux de change qui se forme sur les marchés n’équilibre plus l’offre et la demande nationales de biens et services sur les marchés internationaux; il ne permet donc plus de révéler les avantages comparés. Un pays qui souhaite attirer des capitaux étrangers, pour financer, par exemple, son déficit budgétaire, peut ainsi augmenter ses taux d’intérêt et accepter une appréciation de sa monnaie nationale, dégradant la compétitivité des biens ou des services qui disposent pourtant d’avantages comparés.

Les politiques stratégiques des firmes influencent également la spécialisation. Les firmes américaines privilégieraient ainsi les produits rentables à court terme, alors que les firmes japonaises préféreraient développer des produits qui associent les gains de compétitivité à la conquête des parts de marché. Les premières seraient donc plus ricardiennes, en exploitant les avantages dont elles disposent, et les secondes plus smithiennes, en se créant leurs propres avantages grâce aux effets de dimension. Les États-Unis ont ainsi, par exemple, privilégié les composants électroniques «sur mesure» et laissé au japonais les mémoires de masse.

La réhabilitation – partielle – d’une conception smithienne est ambiguë. S’appliquant mieux à la réalité du monde industriel et des entreprises (économies d’échelle, etc.), son pouvoir explicatif est puissant. Mais les spécialisations ne sont plus justifiées, a priori par un élément objectif, «naturel», de type dotation en facteurs; à la limite, les spécialisations peuvent être «tirées aux dés». Une lutte prédatrice pour la production d’un bien ou service nouveau devient un état naturel; cette forme de compétition n’est plus la concurrence policée, loyale, de la théorie libérale du commerce international.

Les théories orthodoxes ne permettent d’ailleurs pas de fixer des limites précises et incontestables aux interventions de l’État. On peut certes admettre que toute action visant à améliorer l’efficacité de la production est justifiée (dépenses d’infrastructure, d’éducation, de recherche-développement), mais ne remet-elle pas aussi en cause la hiérarchie des avantages comparés, et donc les spécialisations des autres nations? Puisque les entreprises sont les vecteurs de la productivité, pourquoi arrêter les aides de l’État aux portes des firmes? Les firmes étrangères n’ont-elles pas raison d’évoquer alors une concurrence déloyale?

2. Histoire et déterminants

Le commerce international existait avant... les nations, comme l’attestent les découvertes de pièces grecques ou romaines sur les voies antiques de communication.

L’échange «moderne», tel qu’il apparaît au cours du XVIIIe siècle, se caractérise par l’introduction de nouvelles formes d’échange: affinement des instruments de paiements et généralisation des lettres de change, modernisation des moyens de transport, expansion du commerce colonial, diversification des biens échangés (biens manufacturés notamment textiles, produits exotiques), création de grandes compagnies, etc. Ce type de commerce reste largement fondé sur une conception mercantiliste: la création de richesses nouvelles apparaît moins déterminante que l’accaparement des richesses existantes. L’infléchissement vers une conception plus libérale attendra le XIXe siècle. C’est la Grande-Bretagne qui ira sans doute le plus loin en abolissant les deux piliers de son rempart protectionniste: les
lois sur le blé (1846) et les lois de navigation (1849), avant de conclure un traité de libre-échange avec la France (1860). La première moitié du XXe siècle renouera avec le nationalisme économique qui atteindra son apogée dans les années trente. L’ordre économique international libéral qui se met en place à la fin de la Seconde Guerre mondiale permettra le maintien, pendant près de trente ans, d’une croissance inédite des échanges. Le tableau 1 confirme la vigueur du commerce international depuis le XVIIIe siècle.

Pourtant, l’évolution tendancielle décrite cache des phénomènes cycliques de grande importance. Le XVIIIe siècle et le début du XIXe connaissent, du fait de l’instabilité politique et des guerres, une expansion modérée, largement rattrapée dans la période 1820-1870. La fin du XIXe siècle marque, jusque vers 1895, un nouveau tassement des rythmes de croissance. L’expansion qui suit est interrompue par la Première Guerre mondiale. Avec l’effondrement des années trente, le commerce international ne connaîtra une nouvelle phase d’accélération qu’entre 1950 et 1973. Depuis le premier choc pétrolier le taux de croissance du commerce mondial est certes resté positif (sauf en 1975 et en 1982), mais à un niveau moyen par rapport aux taux historiques.

Le développement du commerce international est associé à la révolution industrielle même si, au XXe siècle, le commerce des services devient un phénomène significatif. Pendant tout le XIXe siècle, le commerce international de produits manufacturés restera largement fondé sur la filière textile. Mais celle-ci ne cessera de décliner au profit, essentiellement, des biens d’équipement et des produits chimiques. Plus précisément, c’est le matériel de transport et le matériel électrique qui joueront, au milieu du XXe siècle, un rôle primordial. Les années soixante-dix et quatre-vingt verront la percée de l’électronique.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les produits primaires représenteront les deux tiers environ du commerce international. Les matières premières (produits agricoles, minerais, combustibles, etc.) et les biens intermédiaires (acier, etc.) – malgré les effets éphémères des chocs pétroliers – seront les grands perdants de cette industrialisation croissante des échanges (tabl. 2).

L’analyse historique permet de dégager un certain nombre de relations qui font mieux saisir les déterminants du commerce international.

La taille du pays

La taille du pays constitue un paramètre important du degré d’ouverture. En effet, à niveau de développement comparable, les pays physiquement les plus petits sont, en général, plus ouverts que les grands. La faible taille introduit, en effet, une contrainte de spécialisation: ressources naturelles moins variées, contraintes de débouchés internes, etc. Le tableau 3 montre que cette tendance est assez bien vérifiée (même si la Norvège apparaît relativement peu ouverte et l’Allemagne, relativement très ouverte). L’Albanie a constitué un cas extrême peu probant.

Cette asymétrie a souvent été avancée pour souligner la position défavorable des petits pays dans l’échange. Leur spécialisation est, en effet, plus contrainte que choisie; ils devraient se spécialiser dans des productions à vocation mondiale, c’est-à-dire peu différenciables (matières premières) et, si possible, bénéficiant de gains d’échelle élevés (Drèze): sidérurgie, industrie pétrolière, etc. Or ces secteurs sont fortement concurrentiels, ce qui pèse sur les termes de l’échange. Ce constat apparaît trop pessimiste. La théorie moderne montre, au contraire, que dans un certain nombre de secteurs où les produits sont fortement différenciés l’ouverture aux échanges internationaux permet à un pays de se spécialiser dans un certain créneau (banques ou communications au Luxembourg), tout en bénéficiant des variétés produites à l’étranger. Ce type de gains profite donc relativement plus au petit pays qu’au grand.

L’effet d’amplification

Le commerce international évolue comme le revenu national, et en amplifie les fluctuations. Cette relation est vérifiée en période de croissance économique: le volume des exportations croît deux fois plus vite, environ, que le revenu réel. L’effet d’amplification est peut-être plus grand encore lorsque le revenu national se ralentit: en 1933, la valeur du commerce extérieur représentait entre le quart et le tiers de la valeur atteinte cinq ans auparavant. Cet effet se constate, avec peu d’exceptions, en tout temps et en tout lieu. Il est vérifié au XVIIIe siècle comme au XXe. Il joue à court terme comme à long terme; les chutes «accidentelles» de 1975 et de 1982 épousaient ainsi le retournement de la conjoncture mondiale. La croissance économique des anciens pays industriels (Angleterre, États-Unis, Allemagne...) comme des nouveaux (Japon, Corée du Sud) a accompagné, au moins durant certaines phases, le développement des exportations. Le lien production-exportations s’applique, enfin, à tous les grands secteurs économiques (agriculture, industrie, activités extractives, services).

Si cette relation est bien établie, le sens de la causalité fait l’objet de discussions. Pour certains, la croissance économique crée des opportunités pour le commerce extérieur. Pour d’autres, c’est le commerce extérieur et, plus particulièrement, les exportations qui entraînent la croissance économique (export-led growth ) en favorisant la rationalisation de la production. Un troisième facteur, comme le progrès technique, pourrait expliquer à la fois la croissance de la production nationale et celle du commerce extérieur. On peut également considérer, à la suite d’Adam Smith (et de... Marx), que l’approfondissement de la division internationale du travail s’inscrit dans la logique du développement économique. Mais, cette fois encore, l’incitation à découvrir et à innover n’est pas nécessairement indépendante du contexte général.

Le ralentissement de l’activité économique réveille des sentiments peu favorables à l’extension du libre-échange. Il est plus facile, politiquement, d’accepter la concurrence de l’étranger lorsque la production augmente dans tous les pays. Au contraire, la récession dans certains secteurs ouverts à la concurrence, même si elle se justifie par la remise à jour des spécialisations nationales, suscite une demande de protection qui émane non seulement des secteurs menacés, mais aussi d’une partie de la population qui exprime ainsi sa solidarité. Pourtant, l’effondrement du commerce extérieur dans les années trente fut aussi la conséquence du renforcement des barrières protectionnistes (aux États-Unis, l’amendement Smoot-Hawley de 1930). Mais il existe, dans l’histoire, des contre-exemples: la poussée du protectionnisme à la fin du XIXe siècle s’est révélée compatible avec la croissance de l’économie nationale et du commerce extérieur.

L’environnement institutionnel

La spécificité du commerce international est qu’il implique... deux nations au moins. Le développement de l’échange exige donc un consensus minimal sur le mode de répartition des gains de l’échange. Tout pays s’estimant lésé en termes absolus – appauvrissement – ou en termes relatifs – répartition inéquitable des gains – pourrait freiner ou contrôler les échanges extérieurs. L’échange international n’est donc possible et acceptable que dans un certain cadre institutionnel qui permette d’éviter ou de régler ce type de conflits.

La coopération internationale . Chaque gouvernement national, par des politiques d’«égoïsme sacré», peut tenter de modifier à son profit les conditions de l’échange. Mais l’effet de ces politiques risque d’être annulé par les mesures de rétorsion. Le commerce international entrerait alors dans une spirale infernale, où toutes les nations seraient finalement, comme dans les années trente, perdantes.

Dans l’histoire, le développement du commerce international s’est ainsi accompagné de formes plus ou moins étroites de coopération internationale. L’Accord général (provisoire) sur les tarifs et le commerce (G.A.T.T. dans l’abréviation anglaise) s’est substitué à la charte de La Havane qui, faute d’être ratifiée, ne fut jamais appliquée. Ses règles se sont longtemps révélées compatibles à la fois avec l’abaissement des tarifs douaniers (dans le cadre de rounds successifs) et le respect des intérêts économiques nationaux («clauses de sauvergarde», autorisation de mesures antidumping ou antisubventions, etc.). Mais elles furent progressivement détournées: multiplication des barrières non tarifaires (B.N.T.), accords bilatéraux d’autolimitation des exportations... De plus, le G.A.T.T. a laissé sans réglementation des secteurs sensibles comme l’agriculture, ou en forte expansion dans les échanges internationaux, comme les services. Les difficultés de l’Uruguay Round, ouvert en 1986, ont confirmé l’inadéquation des formules de coopération mises en place dans les pays à économie de marché. La dissolution en 1990 du Conseil d’aide économique mutuelle créé en 1949 a prouvé l’échec, bien plus flagrant encore, d’une organisation planifiée du commerce international.

La question du leadership . Même si certains auteurs comme Keohane estiment aujourd’hui que la présence d’un leader ne constitue pas une condition nécessaire à l’établissement d’un ordre coopératif, le développement de l’échange a été plus dynamique, dans l’histoire, lorsqu’une puissance économique dominante prenait l’initiative d’accords bi- ou multilatéraux. La prospérité de l’échange au milieu du XIXe siècle devait beaucoup à l’hégémonie britannique et les difficultés ultérieures ont accompagné le recul de celle-ci. De même, le cadre coopératif d’après guerre fut «imposé» grâce au leadership, économique et politique, des États-Unis (tabl. 4).

Le retrait relatif de ce pays dans les années soixante-dix, illustré par son renoncement à la convertibilité en or du dollar (1971), et ses hésitations actuelles (dilemme isolationnisme ou interventionnisme) ont sans doute contribué à dégrader l’ordre ancien sans que, pour l’instant, se dessinent les contours de nouvelles règles du jeu. Dans ce contexte incertain, la formation de blocs – C.E.E. (élargie? ), Amérique du Nord (États-Unis, Canada, Mexique), zone pacifique, États de l’ex-U.R.S.S.? – peuvent apparaître comme un moindre mal. Mais, en accélérant la fragmentation de l’économie mondiale, les blocs favorisent le déclenchement de guerres économiques et commerciales tout en accentuant la marginalisation des zones les plus pauvres.

L’environnement monétaire . La chute du commerce international dans les années trente s’explique aussi par l’effondrement du système monétaire international; aussi la priorité des grandes puissances fut-elle, après la guerre, de restaurer un système compatible avec le développement de l’échange entre les nations (accords de Bretton Woods, 1944). Pour les auteurs libéraux classiques, la «main invisible», qui révèle la spécialisation optimale, ne peut d’ailleurs être effective que dans le cadre d’un système monétaire international imposant la formation d’un taux de change d’équilibre. La plupart des libéraux classiques ont préconisé l’étalon-or et la fixité des changes, qui impliquent des ajustements par les prix intérieurs, le taux d’intérêt ou le revenu. De nombreux libéraux modernes, notamment Milton Friedman, préconisent un système de taux de changes flottants «purs», c’est-à-dire déterminés sur le marché des changes sans intervention des pouvoirs publics. L’expérience du flottement généralisé des monnaies, depuis 1973, s’est pourtant révélée décevante. Les marchés des changes n’ont pas démontré leur efficience.

Si la monnaie assure une fonction d’équilibrage en contribuant à former les prix de l’échange, elle devrait également permettre de réduire les coûts de transaction. Le mode de règlement le plus coûteux est en effet celui du troc, car il implique, pour une transaction désirée, une multitude de transactions intermédiaires (du beurre contre du blé, contre du café pour obtenir des automobiles) qui ne permettent pas la mise en évidence du prix réel des biens. La forme moderne du troc dans le commerce international est la compensation, qui représente de 20 à 30 p. 100 des échanges internationaux. Du point de vue des coûts de transaction, le système le plus efficace serait celui de la monnaie unique, qui évite les coûts de conversion (dollars contre yens par exemple) et permet l’affichage des prix internationaux d’échange dans une monnaie unique. C’est la principale raison évoquée pour justifier la monnaie unique européenne.

3. Tendances actuelles

La tripolarisation des échanges

Le commerce international se réalise, pour l’essentiel, à l’initiative de trois grandes zones: l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Asie du Sud-Est. Cette tripolarisation se retrouve à la fois aux deux niveaux des rangs de classement (tabl. 5) et du réseau d’échange.

Le commerce de similarité

Alors que la théorie orthodoxe de l’échange, tout comme d’ailleurs la théorie marxiste, laisse entendre que les flux commerciaux sont d’autant plus intenses entre deux nations que celles-ci sont différentes, on a plutôt assisté, depuis la guerre, à une intensification du commerce entre régions économiquement assez proches et, souvent, pour des produits eux-mêmes relativement proches.

L’échange intrapays industriels

À la veille du second conflit mondial, le commerce international impliquait les colonies. Le tiers environ des exportations françaises était ainsi dirigé vers l’Algérie et les autres dépendances françaises. Après 1945, c’est le développement de l’échange entre pays industriels qui constitue l’élément dynamique du commerce international. À l’exception de certains produits spécifiques, comme le pétrole, on assistera à une marginalisation relative du commerce avec les pays du Sud, malgré l’émergence de quelques trop rares nouveaux pays industriels (N.P.I.). Le commerce international est donc pour l’essentiel, aujourd’hui, un commerce «triadique» (Ohmae) qui réunit l’Ouest européen, l’Amérique du Nord et l’Asie du Sud-Est (autour du Japon).

Cette évolution s’explique par un processus institutionnel d’ouverture qui impliquait surtout les produits (et les pays) industriels: C.E.E., G.A.T.T. De plus, la décolonisation a distendu les liens économiques qui unissaient les pays du Sud à la puissance coloniale. Certains pays en développement ont d’ailleurs opté pour des stratégies plus ou moins volontaristes, et par définition peu favorables au commerce extérieur, de substitution aux importations. Toutefois, si certains pays riches avant-guerre – comme l’Argentine – sont entrés en voie de sous-développement en pratiquant des politiques nationalistes, d’autres, initialement moins bien pourvus, ont, à la suite du Japon, rejoint les anciens pays industriels; tel est le cas des quatre dragons du Sud-Est asiatique (Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong, Singapour) et, peut-être demain, d’autres «nouveaux» N.P.I.

Il est vrai que les anciens pays industriels n’ont pas accepté toutes les implications de la division internationale du travail. Ils dominent non seulement le commerce international de produits manufacturés, mais aussi grâce, souvent, aux interventions publiques, celui de matières premières essentielles comme certains produits agricoles. Quant aux services, ils y ont une position écrasante.

L’échange intrabranche

Le commerce international s’est développé entre nations industrielles «proches» pour des produits «voisins»: la France, par exemple, exporte et importe des automobiles vers et de l’Allemagne. Ces automobiles sont différenciées par la marque, la qualité, les caractéristiques techniques, etc. Le développement des sociétés de consommation a, en effet, fait apparaître à la fois une universalisation des goûts, qui favorise l’exportation de biens autrefois peu exportables, et un besoin de diversité. Dans certains secteurs, les firmes nationales n’ont pu conquérir ou préserver leur compétitivité que par une politique d’hyperspécialisation dans des créneaux fins (par exemple, la voiture de luxe pour l’Allemagne).

Une spécialisation intrabranche implique souvent un certain refus de la spécialisation orthodoxe, c’est-à-dire interbranche. La France se caractérise ainsi par sa présence dans un nombre limité d’activités, mais dans une multitude de secteurs. À l’opposé, le Japon a, jusqu’à maintenant, opté pour un approfondissement de la spécialisation intersectorielle en concentrant ses efforts sur un nombre limité de «pôles de compétitivité» (automobile, électronique grand public, etc.); cette attitude n’empêche d’ailleurs pas, grâce à des méthodes de production flexibles, une forte adaptation des produits aux besoins différenciés et le maintien d’une protection interne qui vise à préserver certains secteurs non exportateurs, comme l’agriculture, de la concurrence étrangère.

Les auteurs anglo-saxons ont proposé le nouveau concept de «globalisation» qui intègre les formes modernes d’internationalisation. Ils se réfèrent au comportement des grandes firmes multinationalisées qui envisagent leur stratégie de développement dans le cadre d’un «village» mondial (McLuhan).

Cette globalisation ne concerne plus uniquement les marchés des firmes, mais aussi l’ensemble des processus de production. La complexité des produits (de la conception à l’assemblage et la vente) et des composants nécessaires se prête à une division verticale internationale du travail qui se superpose à la division horizontale (par secteurs) de l’analyse orthodoxe. Les automobiles ou les ordinateurs représentent des cas typiques de cette tendance à l’approfondissement de la «décomposition internationale des processus de production» (Lassudrie-Duchêne). Cette globalisation est associée à la sophistication des réseaux mondiaux de transports et de communications.

L’internationalisation de la production peut prendre différentes formes, qui vont de simples accords de coopération au rachat de firmes étrangères en passant par la création de filiales à l’étranger. Les firmes peuvent donc contrôler cette nouvelle forme de division internationale en choisissant l’«impartition» de leurs activités. Cette évolution est notamment attestée par la part du commerce intrafirme dans les échanges industriels (de 25 à 30 p. 100). La «globalisation» est créatrice de commerce international sous certains aspects (réimportation vers le pays d’origine, échange de composants et de pièces détachées), mais destructrice sous d’autres (production sur place). D’après le ministère américain du Commerce, les exportations ne représenteraient que 37 p. 100 (en 1988) des ventes réalisées par les firmes américaines hors du territoire des États-Unis. Dès lors, on peut s’interroger sur la pertinence d’indicateurs ou de concepts, comme la balance des biens et services, qui restent fondés sur une conception territoriale de la nation.

L’internationalisation des services

Les «services» ont encore une définition résiduelle; il s’agit de tous les produits qui ne sont ni industriels ni primaires. Pendant longtemps n’ont été considérés que les services induits par le commerce international: transport, assurance, etc. À ces exceptions près, les services étaient fréquemment considérés comme des activités par nature non exportables. Mais ce constat n’est vrai que pour certains types de services: gardiennage, restauration, distribution de carburants... Il ne l’est évidemment pas pour les activités les plus dynamiques: télécommunications, construction, tourisme, brevets, etc.

Les services, immatériels par définition, échappent au contrôle douanier et donc, parfois, aux statistiques. Une bouteille de bordeaux vendue en Angleterre est une exportation; consommée dans un restaurant parisien par un Britannique non résident, elle devient un «service», classé dans le poste «tourisme»; en revanche, elle n’influence pas la balance des paiements si l’amateur britannique réside en France...

La globalisation concerne aussi certains services autrefois considérés comme non échangeables: l’après-guerre du Golfe a, par exemple, révélé de façon manifeste l’internationalisation de l’activité de pompiers. Mais, surtout, certains services apparaissent aujourd’hui étroitement liés au développement des échanges industriels: le commerce des logiciels accompagne celui des micro-ordinateurs; le choix d’une norme pour la télévision haute définition influence à la fois la fabrication de téléviseurs et la production de programmes audiovisuels.

Dans certains pays, comme la France (grâce, notamment, au tourisme et aux grands travaux), et, dans une moindre mesure, l’Italie ou le Royaume-Uni, la part des services dans le commerce extérieur est supérieure à la moyenne. L’Allemagne et le Japon sont en position de relative faiblesse. Le commerce de services tend donc à atténuer les déséquilibres courants (tabl. 6). La C.E.E. était, en 1990, le premier exportateur (32 p. 100 de part de marché) – la France seule occupant la deuxième position – devant les États-Unis (20 p. 100) et le Japon (7 p. 100).

Pour autant, la progression de la part des services dans le commerce international ne doit pas être exagérée. Elle est due, pour l’essentiel, aux revenus d’investissements dont le caractère de service est contestable. Une fois exclus ce type de revenus, la part des services est apparue stable dans les années quatre-vingt. Constituant 22 p. 100 du commerce international en 1990 (soit 770 milliards de dollars), les services apparaissent largement sous-représentés puisqu’ils contribuent à plus de la moitié des P.I.B. nationaux (70 p. 100 aux États-Unis).

La désindustrialisation du commerce international est donc moins marquée que celle des anciens pays industriels. Ce retard révèle la résistance des services non échangeables, et une certaine étanchéité des frontières nationales. Jusqu’au «livre blanc» sur le grand marché intérieur européen (1985) et l’ouverture de l’Uruguay Round (1986), les services furent absents des grandes négociations internationales. La protection porte essentiellement sur les conditions d’accès ou les limites apportées au déplacement de la main-d’œuvre dans un secteur où le produit est souvent incorporé aux individus (tourisme, transport des personnes, conseil, professions médicales ou artistiques). Les grands thèmes de négociation sont variables selon les secteurs.

– Dans celui des télécommunications , il s’agit de l’accès aux réseaux de base, notamment pour les services à forte valeur ajoutée (téléinformatique) actuellement contrôlés par l’État.

– Dans la construction et les travaux publics , les firmes nationales sont fréquemment privilégiées grâce à des procédures (appels d’offres, etc.) complexes et peu transparentes.

– L’accès aux lignes de transport aérien reste très réglementé au niveau international (Convention de Chicago, 1944) comme au niveau national. Il en est de même des tarifs.

– La réglementation dans le tourisme (la plus grande «industrie» du monde) concerne l’activité et la propriété des entreprises (voyagistes, hôtels, etc.).

– Les services financiers comprennent les services bancaires, les services liés aux valeurs mobilières et les services d’assurance. Les marchés sont soumis à toutes formes de contrôles: contrôle prudentiel sur le comportement des banques, entrée réglementée... La libéralisation des mouvements de capitaux et les pressions américaines – notamment vis-à-vis du Japon – ont amélioré l’ouverture internationale de ce secteur.

– Les services professionnels sont plus disparates: comptabilité, services juridiques, publicité, logiciels. La réglementation est, selon les cas, justifiée par la protection du consommateur, la promotion des entreprises nationales ou la défense de l’identité culturelle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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